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Petites mains


Rien n’avait préparé Eva à l’exigence d’un grand hôtel. En intégrant l’équipe des femmes de chambres, elle fait la connaissance de collègues aux fortes personnalités : Safietou, Aissata, Violette et Simone. Entre rires et coups durs, la jeune femme découvre une équipe soudée et solidaire face à l’adversité. Lorsqu’un mouvement social bouscule la vie du palace, chacune de ces « petites mains » se retrouve face à ses choix.


Entretien avec le réalisateur, Nessim Chikhaoui.


PETITES MAINS s’attache au sort d’un groupe de femmes de chambre d’un palace parisien. À nouveau un sujet sur des personnes en difficulté. Racontez-nous la genèse du film.

Alice Labadie, du Pacte, s’était beaucoup intéressée d’abord au mouvement des « Kellys », ces femmes de chambre en Espagne qui avaient manifesté contre les palaces en 2017 ainsi qu’à la lutte des femmes de chambre de l’hôtel Ibis Batignolles à Paris qui, au bout de vingt-deux mois de grève, avaient réussi en 2021 à faire plier le groupe Accor en obtenant une amélioration notable de leurs conditions de travail. Et enfin le mouvement mené par les femmes de chambre du Park Hyatt en 2018, qui s’est soldé par un accord au bout de 87 jours de grève, a aussi été une référence. Ce sont ces gens qui me donnent envie de faire du cinéma. Je me suis donc inspiré d’une multitude de témoignages, pas seulement de cas précis, pour faire une fiction qui rende hommage à toutes les femmes de chambre.

Pourquoi avoir choisi l’univers d’un palace et non d’un hôtel lambda ? 

Socialement, je trouvais important qu’une chambre puisse coûter dix fois le prix du salaire mensuel de ces femmes. Et cinématographiquement, le décalage entre la vie de ces employées et le faste d’un palace offrait des contrastes fascinants. Une des femmes que j’ai rencontrée, vit dans une petite ville près de Reims et vient tous les matins travailler dans un hôtel 4 étoiles situé dans un quartier chic de Paris. Elle m’expliquait que le trajet est épuisant mais que pouvoir se balader dans ces quartiers qu’elle n’aurait jamais visités lui permettait d’oublier par moment la cité dans laquelle elle vit. Je trouvais cet angle finalement très touchant et humain, et c’est ce qui m’a aussi convaincu de situer ce film dans l’univers du luxe.

Ces femmes, en dépit des moments poignants qu’elles traversent, restent joyeuses, battantes. 

Je ne voulais surtout pas tomber dans le misérabilisme. Le film ne devait pas être plombant. Je le voulais, au contraire, très solaire. Durant le travail d’enquête que j’ai mené auprès des grévistes mais aussi des représentants syndicaux, une chose m’avait beaucoup frappé : « Ce qui nous a fait tenir durant le mouvement, me disaient tous mes interlocuteurs, c’est rire, chanter et danser. Quand il pleut, qu’il fait froid et que tu déprimes, tu es tentée d’abandonner. Mais si tu chantes avec les copines, si tu te fais à manger avec elles et s’il y a de la vie, cela te donne le courage de continuer. » J’ai voulu faire ressentir cette joie dans la lutte. D’ailleurs, ce mouvement a aussi été médiatisé de par cette humeur joviale qui différait des « traditionnelles » grèves.

Ce choc, c’est une des contradictions auxquelles les femmes de chambre sont confrontées quotidiennement. On les sent à la fois profondément fières et respectueuses de ce monde de luxe dans lequel elles évoluent, et tiraillées en  même temps par leur propre condition.

Elles éprouvent de la fierté à être là. « Le lieu t’élève, me disait l’une d’elles. Tu te sens faire partie de cet univers et donc, finalement, tu le respectes. » Elles en prennent les codes et, en même temps, elles se sentent maltraitées. Le film n’insiste pas trop là-dessus, une phrase suffit à faire comprendre ce hiatus. Mon rêve serait qu’à la fin du film, les spectateurs aient envie de laisser un pourboire à ces femmes qu’ils ne voient jamais. 

Parlez-nous de cette scène du défilé où les grévistes cherchent à attirer l’attention des passants. Réalité ou fiction ? 

Les femmes du Park Hyatt avaient eu cette idée. On lui a évidemment donné une dimension plus cinématographique. Comme beaucoup de choses dans le film, ce n’était qu’une ligne dans le scénario. C’est devenu une séquence très importante, très joyeuse mais très difficile aussi à tourner, cent figurants dans les rues de Paris dans un lieu difficile à trouver… D’ailleurs ce jour-là, nous avons eu peur car une manifestation était annoncée et nous tournions sur le parcours prévu. Nous ne savions pas qui manifestait. Il s’est avéré que c’était une manif pour la régularisation des travailleurs sans papiers. En nous voyant, ils pensaient que nous étions vraiment en grève. Du coup ils sont venus vers nous et ont chanté et dansé avec l’équipe. C’était un moment magique. 

Comédie de Nessim Chikhaoui. Propos recueilli par Florence Narozny et Mathis Elion. 3,8 étoiles AlloCiné.

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