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Première affaire


Jeune avocate fraichement diplômée, Nora a l'impression de n'avoir rien vécu lorsqu'elle est propulsée dans sa première affaire pénale. De sa première garde à vue au suivi de l’instruction, Nora découvre la cruauté du monde qui l’entoure, dans sa vie intime comme professionnelle. Emportée par la frénésie de sa nouvelle vie, elle multiplie les erreurs et en vient à questionner ses choix.


Entretien avec la réalisatrice, Victoria Musiedlak.

D'où est née l'idée du film ? 

Le changement que j’ai vu s’opérer en quelques mois chez une jeune fille de mon entourage, devenue avocate, a renforcé l’intérêt que j’avais déjà pour la justice et ce métier en particulier. Comme Nora dans PREMIÈRE AFFAIRE, cette jeune fille, vivait chez sa mère. Elle était timide et débutante, et s’est retrouvée à vingt-cinq ans, envoyée en catastrophe aux Sables d’Olonne, à défendre un grand-père accusé d’inceste sur ses deux petites filles. Je l’ai vue se métamorphoser. La jeune fille que je connaissais est devenue une femme plus affirmée, indépendante mais aussi plus nerveuse. Comme la plupart des jeunes avocats, ce métier avait profondément modifié sa personnalité. D’un point de vue philosophique, rousseauiste, j’ai toujours trouvé passionnant l’impact que la fonction sociale a sur un individu.

Pour Nora, la jeune fille du film, le choc est d'une violence extrême c'est sa première garde à vue, elle n'a pas dormi de la nuit, arrive dans une ville qu'elle ne connaît pas et se retrouve embarquée dans une affaire d'homicide volontaire.

C’est une jeune fille naïve, scolaire, immature, propulsée dans un univers très brutal. Bonne élève, studieuse, elle travaille comme collaboratrice depuis un an dans un cabinet pénal spécialisé dans les affaires. Elle connaît théoriquement son métier mais elle ignore tout de sa réalité.

Et prend presque aussitôt le contrepied de ce qu'elle a appris : défendre un client sans affect, ne pas frayer avec un policier chargé de l'affaire...

Tout d’un coup, un monde s’ouvre et elle se lance dedans de manière excessive ; d’abord en voulant croire que le jeune homme qu’elle défend est innocent, puis en tombant amoureuse de la mauvaise personne. La violence liée à l’affaire fait exploser ses blocages intimes : loin du cocon familial, sans repère géographique, elle perd de vue la noirceur et la complexité du monde et est emportée par le sentiment de découverte et de liberté. Elle se laisse griser. 

Diriez-vous que c'est son héritage familial qui est à l'origine de sa vocation d'avocate ? 

Pour Nora, ce métier constitue une revanche sociale à deux niveaux : le droit est l’un des rares ascenseurs sociaux possible pour ceux qui n’ont pas d’argent pas besoin d’aller dans des écoles privées pour obtenir des diplômes, l’université permet de faire les études à moindre frais. Le droit constitue également un outil de défense pour les immigrés. Elle doit faire face au passé de ses parents, immigrés en France pour fuir les années de guerres. 

Nora est-elle faîte pour ce métier ? Est-il compatible avec ses valeur ? 

C’est toute la difficulté de cette profession et c’est l’une des questions centrales du film. Pour le commun des mortels, la question morale toutes les règles implicites qui érigent une société est centrale. Or cette approche affective et manichéenne a peu à voir avec le métier d’avocat et c’est ce que découvre Nora : la morale est l’inverse de la justice. C’est une valeur dont on doit se défaire lorsqu’on embrasse cette carrière. A la fin, Nora acquiert la distance nécessaire pour faire son travail. Est-elle à sa place ? Je le crois même s’il y a un désenchantement, c’est certain. Un certain nombre d’avocats avec lesquels j’ai pu discuter reconnaissent préférer défendre des coupables plutôt que des innocents. Avec un coupable, ils n’ont qu’à jouer avec la mécanique juridique. Défendre le mieux possible devient un challenge. Mais ça ne les empêche pas, en privé, d’avoir leur propre jugement moral sur l’existence. Ils portent en eux une dualité qui pose question.

Dans un dernier revirement, Nora choisit à son tour de jouer avec la vérité. La métamorphose est cruelle, non ? 

Dans une métamorphose, on gagne des choses (de l’assurance, de la liberté, etc.) mais on en perd aussi forcément d’autres. Je ne crois pas qu’on puisse traverser la vie, notamment dans le milieu judiciaire, en gardant sa candeur. Le métier d’avocat donne accès aux travers de l’être humain et il faut être solide pour les affronter. C’est aussi un métier où l’on « gagne » ou l’on « perd » une affaire, juste avec son esprit…

Drame de Victoria Musiedlak. Propose recueilli par André-Paul Ricci, Tony Arnoux et Pablo Garcia-Fons. 3,2 étoiles AlloCiné.

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