Jérémie revient à Saint-Martial pour l’enterrement de son ancien patron boulanger. Il s’installe quelques jours chez Martine, sa veuve. Mais entre une disparition mystérieuse, un voisin menaçant et un abbé aux intentions étranges, son court séjour au village prend une tournure inattendue.
Le titre s’est imposé pendant l’écriture de ce scénario. Pour moi la Miséricorde plus que la question du pardon, c’est l’idée de l’empathie, de la compréhension de l’autre au-delà même de toute morale. C’est l’élan vers l’autre. C’est un mot désuet qu’on n’emploie plus beaucoup, et ça correspond très bien au film, à son côté intemporel, et surtout à l’un des grands personnages du film : le curé.
Ici, plus encore que dans mes autres films, je me suis acharné à cultiver la part du mystère, j’ai cherché à ce que le spectateur se pose des questions et qu’il participe à l’histoire. C’est la meilleure façon de ne pas s’ennuyer d’une part, et puis c’est aussi la meilleure transcription du désir. Qui reste toujours, pour moi, le grand mystère de la vie. On comprend quand même assez vite que le héros reste ici par désir pour quelqu’un. Même si tout ça bouge beaucoup. Il est lui-même objet de désir. Et je suis aussi beaucoup intéressé par le trouble que peut amener cet inconnu et ses intentions pas très claires. J’aime qu’on ne sache pas qui est le méchant, et qu’on ne sache pas trop de quel côté se situer.
Oui, je me suis beaucoup retourné sur ma jeunesse. J’ai mis dans ce film beaucoup de sensations d’adolescence qui me restent en tête. La rivalité entre garçons, le désir sous-jacent, le regard qu’on porte sur la mère d’un copain et sur son père, bien sûr. Et toujours pareil, le cinéma me permet de mixer mon expérience avec la grande histoire du cinéma et du monde. C’est une façon d’universaliser mon histoire intime. C’est aussi une façon d’apprendre et de découvrir. J’aime beaucoup citer une phrase de Michel Schneider : « Tous les romans sont des histoires où l’on se raconte à la fois ce qu’on est, ce qu’on voudrait être et ce qu’on ne sait pas qu’on est. » Ça marche aussi pour les films.
Côté films noirs, ceux d’Hitchcock ou de Fritz Lang sont toujours pour moi une référence. Ils font de toute façon partie d’un fond culturel commun, donc ils sont toujours là dans un coin de ma tête. On me parle souvent de Chabrol, sans doute pour le mélange de la noirceur et de la comédie. Mais il y a souvent chez lui ce côté goguenard, ironique, qui me pose problème. Je suis très proche de mes personnages. Je mets en chacun d’eux une part de moi-même. Si je dois citer un cinéaste, étrangement, celui qui a plané sur ce film, c’est Bergman. Ça n’a pas grand-chose à voir avec le film noir mais chez Bergman il y a une grande miséricorde. Une façon d’aimer les êtres malgré et surtout en dépit de tout. Ses films sont à la fois très maîtrisés, très calmes et en même temps traversés d’une vraie noirceur. Et d’ailleurs, est-ce que j’ai vraiment fait un film noir ? Miséricorde ne me semble pas se situer dans cette tradition-là. J’ai plus travaillé un mélange des genres. Et fondamentalement, je pense que ce film doit plus à Euripide qu’à Fritz Lang.
Dans un élan premier j’aurais tendance à répondre que oui. Il y a une vraie histoire d’amour qui soustend tout le film. Mais des amours cachées, celui de Jérémie pour le défunt, et l’autre que je ne dévoilerais pas ici, ça spoilerait trop le film. Mais en fait, c’est plutôt de désir qu’il s’agit ici. Notre héros est au centre de cette circulation du désir et il se retrouve petit à petit prisonnier de ce village.
Comédie, Policier de Alain Guiraudie. Propos recueilli par Monica Donati. festival de Cannes, séléction officiel 2024. 3,5 étoiles AlloCiné.