Depuis qu'il a fait innocenter un meurtrier récidiviste, Maître Jean Monier ne prend plus de dossiers criminels. La rencontre avec Nicolas Milik, père de famille accusé du meurtre de sa femme, le touche et fait vaciller ses certitudes. Convaincu de l'innocence de son client, il est prêt à tout pour lui faire gagner son procès aux assises, retrouvant ainsi le sens de sa vocation.
Même si c’est pour moi un immense plaisir, je pensais sincèrement que je ne ferais plus jamais de film comme metteur en scène. À moins d’être envahi par un besoin irrépressible de raconter quelque chose. Et c’est ce qui s’est produit le jour où ma fille Nelly, qui produit ce film avec Hugo Gélin, m’a fait découvrir le blog que tenait un avocat aujourd’hui disparu, Jean-Yves Moyart, sous le pseudo de Maître Mô.
Parce qu’elle m’a sidéré. Et si je me suis lancé dans ce film, c’est d’abord par envie de m’emparer de la personnalité de cet accusé. À travers Milik, je m’associe aux gens qui n’ont pas la parole et se retrouvent par ricochet tout de suite fragilisés. Et, à travers lui (associé à un avocat, soit quelqu’un dont la parole constitue le cœur de son métier), LE FIL est un film qui tourne au plus près de l’humain.
Je dois cette rencontre à mes producteurs et son apport a été considérable pour atteindre ce que j’ambitionnais. À savoir déstructurer cette histoire,
- Qui avait, sur le papier, très classiquement, un début, un milieu et une fin.
- Pour me perdre et par ricochet perdre le spectateur sans pour autant ne jamais perdre le fil de l’intrigue.
Casser la linéarité, en adéquation avec ma manière de filmer cette Camargue qu’on ne reconnaît pas spontanément et permettre de passer ainsi régulièrement de la certitude que Milik soit coupable à celle qu’il soit innocent.
J’ai eu l’opportunité d’assister à un procès qui se tenait à huis clos pour une histoire identique et j’ai été sidéré de voir l’absence totale des faits dans les échanges entre l’accusation et la défense. J’ai donc eu envie de raconter ce procès comme je l’avais ressenti avec un sentiment d’effroi. De montrer qu’au fond, souvent, les témoins n’ont rien vu de précis, il n’y pas de preuve flagrante, ni de mobile.
Je vois le personnage de la procureure comme celui de l’étudiante en droit du film LE BRIO quelques années plus tard. Et j’ai fait appel à Alice Belaïdi car j’ai pu voir de près son formidable potentiel pour avoir tourné avec elle dans LE NOUVEAU JOUET, mais aussi, de manière plus personnelle, parce que, comme moi, elle a débuté au Théâtre du Chêne Noir. Et comme je connais les acteurs, je sais le désir qu’on a de pouvoir montrer et raconter autre chose de soi. J’avais aussi déjà joué avec Isabelle Candelier et Jean-Noël Brouté : Jean-Noël avait interprété mon frère dans UNE FEMME FRANÇAISE de Régis Wargnier et, dans LES FOURBERIES DE SCAPIN, Isabelle incarnait Zerbinette, un rôle impossible où elle devait avoir un fou rire pendant un quart d’heure et où elle était prodigieuse. J’ai toujours pensé que les acteurs qui ont de la fantaisie et sont habitués à jouer des rôles comiques ont souvent la possibilité d’apporter une part d’humanité supplémentaire. Quelque chose qui ne soit jamais figé et qui correspond à ce qui se passe dans ces prétoires : des moments bizarres, parfois humoristiques malgré eux… Suliane Brahim ou ma fille Aurore possèdent également ce talent là. Mais j’ai aussi été bouleversé par Florence Janas qui joue la femme de Roger Marton (Gaëtan Roussel) et que j’ai découvert en casting (grâce à la talentueuse Agathe Hassenforder), un exercice avec lequel je suis pourtant mal à l’aise, car j’en ai très peu passé moi-même comme comédien.
Drame de Daniel Auteuil. Propos receuilli par Dominique Segall et Apolline Jaouen. 3,5 étoiles AlloCiné. Festival de Cannes sélection officiel 2024.