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Ebola : une étude en Guinée révèle la persistance d’une immunité cinq ans après la vaccination


Des épidémies de maladies à virus Ebola surviennent périodiquement dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne. Deux vaccins ont déjà reçu une préqualification[1] de l’OMS contre l’espèce Ebolavirus Zaïre. Néanmoins, les informations concernant la réponse immunitaire à long terme à ces vaccins demeurent encore parcellaires. 

Il est nécessaire de consolider les connaissances sur le sujet pour continuer à développer les stratégies de vaccination les plus sûres et efficaces possible, chez les adultes comme chez les enfants. Dans une nouvelle étude menée en Guinée, des scientifiques du Vaccine Research Institute (VRI), de l’Inserm et de l’université Paris-Est Créteil (unité 955 Institut Mondor de recherche biomédicale)[2] ont franchi une étape supplémentaire dans cette direction. Ils ont en effet montré que la réponse immunitaire cellulaire induite par trois stratégies vaccinales différentes se maintient jusqu’à cinq ans après la vaccination. Ces résultats, qui viennent conforter les stratégies vaccinales actuelles contre Ebola, sont publiés dans Nature Communications.

Le virus Ebola est responsable de fortes fièvres et d’hémorragies souvent mortelles. De nombreux pays d’Afrique subsaharienne font régulièrement face à des flambées épidémiques. En Afrique de l’Ouest, en 2014, le virus Ebola a ainsi provoqué la plus grande épidémie connue jusqu’à présent. Il a depuis réémergé plusieurs fois en République démocratique du Congo (RDC), mais aussi en Guinée. La vaccination constitue aujourd’hui l’un des outils les plus efficaces pour lutter contre la maladie, et l’un des enjeux majeurs pour la recherche est de continuer à améliorer les connaissances sur la réponse immunitaire induite à long terme par les vaccins actuellement disponibles.

Depuis 2019, deux vaccins ont obtenu une préqualification de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) contre la souche Ebolavirus Zaïre : le vaccin rVSVΔG-ZEBOV-GP (Ervebo®), développé par Merck, et la stratégie vaccinale comprenant les vaccins Ad26.ZEBOV (Zabdeno®) et MVA-BN-Filo (Mvabea®) de Janssen.

En 2022, le consortium international PREVAC (voir encadré final), comprenant des équipes de l’Inserm, du NIH (National Institute of Health) et de la London School of Hygiene and Tropical Medicine (LSHTM) a publié une étude dans le New England Journal of Medicine s’intéressant à la sûreté et l’efficacité de trois schémas vaccinaux :

Le premier schéma vaccinal testé consistait à injecter une dose du vaccin Ad26.ZEBOV suivie 56 jours plus tard d’une dose de MVA-BN-Filo ;

le deuxième schéma consistait à injecter une dose de rVSVΔG-ZEBOV-GP ;

enfin, le troisième schéma commençait par une dose de rVSVΔG-ZEBOV-GP suivie, 56 jours après, d’un rappel avec ce même vaccin.

Les résultats publiés ont montré une forte réponse anticorps sérique suite à la vaccination 12 mois après l’entrée dans l’étude. Cependant, il était essentiel d’obtenir des informations sur le maintien de la réponse à long terme et notamment sur la réponse cellulaire.

Réponse humorale et réponse cellulaire

Les réponses immunitaires adaptatives se divisent en deux grandes catégories : la réponse humorale, fondée sur la production d’anticorps produits par les lymphocytes B qui reconnaissent et neutralisent le virus avant qu’il n’infecte les cellules, et la réponse cellulaire, où les lymphocytes T CD8+ identifient et détruisent les cellules déjà infectées pour limiter la propagation du virus et où   les lymphocytes T CD4+ jouent un rôle crucial en aidant les lymphocytes B à produire des anticorps, renforçant ainsi l’efficacité de la réponse immunitaire.

Dans cette étude, les scientifiques se sont intéressés spécifiquement à la réponse cellulaire, à court, moyen et long terme (5 ans) chez les participants suite à la vaccination, selon trois schémas vaccinaux différents.

En décembre 2023, le suivi à 5 ans des participants de l’essai clinique PREVAC s’est achevé, les résultats sont en cours d’analyse et permettront d’évaluer l’immunité à long terme induite par les vaccins. Les scientifiques ont analysé l’immunité cellulaire chez 230 participants en Guinée, juste après vaccination, à un an et cinq ans après vaccination.

« Il s’agit de la première étude issue du consortium PREVAC à s’intéresser spécifiquement à la réponse immunitaire cellulaire des participants. Elle vient compléter les connaissances déjà acquises sur la réponse humorale à un an et propose les premiers résultats de suivi à 5 ans », souligne Aurélie Wiedemann, immunologiste au VRI et à l’Institut Mondor de recherche biomédicale (Inserm/Université Paris-Est Créteil) et première autrice de l’étude.

À partir de prélèvements sanguins réalisés à Conakry, les scientifiques ont pu analyser la réponse des lymphocytes T CD4+ et CD8+ à la vaccination. Ils ont montré la présence de cellules T CD4+ anti-Ebola cinq ans après la vaccination, quel que soit le schéma vaccinal. La persistance de ces réponses est importante pour le maintien de la mémoire immunitaire humorale en cas d’exposition au virus Ebola. Les auteurs montrent d’ailleurs, chez un sous-groupe de volontaires, une corrélation entre la réponse cellulaire T CD4+ et la quantité d’anticorps spécifiques à long terme.

Si la réponse T CD4+ est importante pour le maintien d’une réponse anticorps, la présence de cellules T CD8+ cytotoxiques est également cruciale pour une protection antivirale efficace. Une réponse T CD8+ spécifique a été mise en évidence chez les individus vaccinés par deux des trois schémas vaccinaux.

« Ces résultats seront complétés prochainement par les données de la réponse humorale – sur la production d’anticorps – issues de l’ensemble des pays du consortium PREVAC, sur un plus grand nombre de participants. Toutefois, ces résultats sont prometteurs et suggèrent que la vaccination contre le virus Ebola peut induire une immunité durable. Ils ouvrent également la voie à un ajustement des stratégies de vaccination actuelles, en permettant d’évaluer, par exemple, la nécessité d’un rappel vaccinal à long terme », précise Yves Lévy, directeur du VRI et dernier auteur de l’étude.

En 2020, l’équipe avait également publié une étude dans Nature Communications sur l’immunité des personnes ayant survécu à une infection par le virus Ebola, deux ans après leur sortie de l’hôpital. Un des prochains axes de recherche pourrait consister à comparer la réponse immunitaire à long terme de ces survivants avec celle induite par la vaccination, afin d’identifier des corrélats de protection[3] possibles contre l’infection, ceux-ci étant pour l’instant indéterminés.

Ainsi, cette nouvelle étude pourrait contribuer à identifier les réponses vaccinales qui seraient efficaces contre l’infection, à améliorer les stratégies vaccinales actuelles, et à définir des stratégies vaccinales de rappel à long terme pour maintenir la protection des personnes particulièrement à risque comme les travailleurs de santé en Afrique.

À propos de PREVAC

PREVAC (Partnership for Research on Ebola Vaccinations ou Partenariat pour la recherche sur la vaccination contre Ebola ; NCT02876328) est un consortium international qui mène des recherches en Afrique de l’Ouest pour évaluer la sécurité et l’efficacité de la vaccination contre Ebola.

Le projet bénéficie d’un cofinancement de l’Inserm, du National Institute of Allergy and Infectious Diseases (NIAID), de la London School of Hygiene & Tropical Medicine (LSHTM) et du College of Medicine and Allied Health Sciences (Comahs), ainsi que d’un soutien de la Guinée, du Liberia, du Mali et de la Sierra Leone. Le soutien sur le terrain de l’ONG Alima a également été crucial pour favoriser l’adhésion de la population à la recherche et le suivi des volontaires. Les industriels Merck et Janssen ont fourni les vaccins utilisés dans le cadre de l’essai.

Le projet a aussi bénéficié d’un financement supplémentaire pour continuer le suivi des volontaires sur le long terme (projet PREVAC-UP coordonné par l’Inserm) via le programme EDCTP2 (European and Developing Countries Clinical Trials Partnership) soutenu par l’Union européenne.

[1]La préqualification signifie qu’un vaccin satisfait aux normes de qualité, d’innocuité et d’efficacité de l’OMS. Sur la base de cette recommandation, les organismes du système des Nations unies et l’alliance Gavi peuvent acheter le vaccin pour les pays à risque.

[2]Cette analyse a été effectuée en collaboration avec l’équipe SISTM du Bordeaux Population Health Research Center (unité 1219 Inserm/Université de Bordeaux).

[3]Ce sont des marqueurs immunologiques qui sont associés à la protection contre une infection : par exemple le taux d’anticorps post-vaccination contre l’hépatite B est un bon corrélat de la protection. Autrement dit, dans le contexte de la vaccination, ils désignent les paramètres que les scientifiques surveillent pour savoir si le vaccin fonctionne et protège efficacement contre l’infection.

Source : inserm.fr. Photo : Chokniti Khongchum - Pexels.

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