La Cour de cassation casse partiellement l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 21 février 2023, reprochant une erreur dans la déclaration d'irrecevabilité des demandes de la salariée ainsi qu’une dénaturation du litige concernant des faits de harcèlement moral non correctement examinés. L’affaire est renvoyée devant la Cour d’appel autrement composée.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 21 février 2023) et les productions, Mme [F] a été engagée en qualité de conseillère de vente par la société X (la société) le 17 janvier 2014.
2. La société a licencié la salariée pour faute, le 16 novembre 2018, avec dispense de préavis.
3. Contestant cette rupture et invoquant un harcèlement moral et une discrimination de la part de sa supérieure hiérarchique, la salariée a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes par une première requête du 14 février 2019, qui a fait l'objet d'une déclaration de caducité par ordonnance du 2 avril 2019.
4. Par requête du 15 novembre 2019, elle a sollicité le rapport de cette déclaration de caducité et a renouvelé les demandes initiales formées dans la requête du 14 février 2019, avant de saisir la même juridiction par une dernière requête du 7 janvier 2020 pour obtenir paiement de diverses sommes à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral, exécution déloyale et rupture vexatoire du contrat de travail, et manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.
5. Ces deux affaires ont été jointes.
Sur le second moyen, pris en sa cinquième branche, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de débouter la salariée de sa demande de dommages-intérêts pour rupture vexatoire du contrat de travail
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
7. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.
Vu les articles 58 et 468 du code de procédure civile et les articles R. 1452-1 et R. 1454-12 du code du travail :
8. Aux termes du premier de ces textes, la requête ou la déclaration est l'acte par lequel le demandeur saisit la juridiction sans que son adversaire en ait été préalablement informé.
9. Le troisième dispose que la demande en justice est formée devant le conseil de prud'hommes par requête.
10. Selon le premier alinéa de l'article 468 du code de procédure civile, auquel renvoie l'article R. 1454-12 du code du travail, si, sans motif légitime, le demandeur ne comparaît pas, le défendeur peut requérir un jugement sur le fond qui sera contradictoire, sauf la faculté du juge de renvoyer à une audience ultérieure. L'alinéa 2 de ce texte prévoit que la déclaration de caducité peut être rapportée si le demandeur fait connaître au greffe dans un délai de quinze jours le motif légitime qu'il n'aurait pas été en mesure d'invoquer en temps utile.
11. Il en résulte que la décision de caducité n'empêche pas la présentation d'une nouvelle demande. Après décision de caducité, le demandeur peut en conséquence solliciter soit le rapport de cette décision dans un délai de quinze jours, soit renouveler sa demande en introduisant une nouvelle requête.
12. Pour dire irrecevables les demandes formulées dans la requête du 15 novembre 2019, l'arrêt retient que la décision de caducité a été régulièrement signifiée le 27 juin 2019 et que la salariée n'a saisi la juridiction prud'homale en relevé de caducité que le 15 novembre suivant, soit après l'expiration du délai de quinze jours prévu par l'article 468 du code de procédure civile.
13. En statuant ainsi, alors qu'il ressortait de ses constatations qu'aux termes de la requête du 15 novembre 2019, la salariée avait non seulement sollicité le rapport de l'ordonnance de caducité mais également renouvelé ses demandes au titre du harcèlement moral et de la discrimination en sollicitant la nullité de son licenciement et le paiement de diverses indemnités à ce titre, les parties ayant comparu, le 2 mars 2020, devant le bureau de conciliation à cette fin, ce dont il résultait que si le conseil de prud'hommes pouvait déclarer irrecevable la requête en rapport de la déclaration de caducité introduite tardivement, il demeurait saisi des autres demandes formées par la salariée dans la requête introductive d'instance du 15 novembre 2019 sur lesquelles il était tenu de statuer, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le second moyen, pris en sa première branche, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de débouter la salariée de sa demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral
14. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter du surplus de ses demandes, alors « que le juge ne peut pas méconnaître les termes du litige tels qu'ils résultent des conclusions des parties ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a énoncé que "Mme [F] soutient qu'elle a été victime de harcèlement managérial ; que la société lui demandait de réaliser des interventions commerciales dehors en plein hiver alors qu'elle occupait un poste de conseillère-esthéticienne ; qu'elle a été sanctionnée sans raison valable, que la nouvelle directrice de la boutique des Champs-Elysées arrivée en 2015 remettait en cause constamment son travail, lui rappelait qu'elle était de nationalité étrangère et qu'elle pouvait la faire rentrer dans son pays d'origine à tout moment et l'a menacée de licenciement ; que la salariée a dû aller travailler alors qu'elle avait été agressée dans le RER ; qu'elle a tenté de mettre fin à ses jours en février 2018 ; qu'en dépit de ses informations et de son état de santé, la société a rompu son contrat de travail sans respecter la procédure de licenciement" ; que la société X ne contestait pas le fait que Mme [F] avait été amenée à réaliser des interventions commerciales dehors en hiver mais faisait valoir que Mme [F] ne s'y était jamais opposée et n'avait jamais manifesté la moindre difficulté à ce sujet, ces événements étant exceptionnels et prévus au contrat de travail de la salariée qui pouvait s'habiller chaudement à ces occasions ; que la société X ne contestait pas davantage avoir délivré à Mme [F] un avertissement le 22 décembre 2015 et se bornait à soutenir que cette sanction était justifiée ; qu'en outre, l'employeur ne contestait pas le fait que Mme [F] avait fait une tentative de suicide en février 2018 mais contestait seulement l'existence d'un lien entre ce geste et le travail de la salariée ; qu'en énonçant néanmoins que "la société conteste les faits" avant de retenir que les éléments produits par Mme [F] "ne sont pas suffisamment précis pour établir matériellement des faits qui pris dans leur ensemble laisseraient supposer des agissements répétés de harcèlement moral", tandis que la société X ne contestait pas la matérialité de certains faits invoqués par Mme [F] mais faisait valoir qu'ils étaient étrangers à tout harcèlement moral, la cour d'appel a dénaturé les écritures de la société X et violé l'article 4 du code de procédure civile. »
Vu l'article 4 du code de procédure civile :
15. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.
16. Pour débouter la salariée de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour harcèlement moral, l'arrêt relève d'abord, qu'elle invoque au titre des éléments laissant supposer l'existence d'un harcèlement, l'existence d'interventions commerciales à l'extérieur du magasin en hiver, un avertissement injustifié délivré le 22 décembre 2015, le fait d'avoir été obligée de travailler en étant blessée après avoir été agressée dans les transports en commun, l'existence de menaces et de harcèlement de la part de sa supérieure hiérarchique, son exclusion des plannings sans justification et la dégradation de son état de santé, ayant fait une tentative de suicide au mois de février 2018, et le non-respect par l'employeur de la procédure de licenciement.
17. Il retient ensuite que ces éléments ne sont pas suffisamment précis pour établir matériellement des faits qui pris dans leur ensemble laisseraient supposer des agissements répétés de harcèlement moral.
18. En statuant ainsi, alors que dans ses conclusions la société ne contestait pas la matérialité de certains faits, mais faisait valoir qu'ils étaient objectivement justifiés par des raisons étrangères à l'existence d'un harcèlement moral, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé le texte susvisé.
19. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt déboutant la salariée de sa demande de dommages-intérêts au titre du harcèlement moral entraîne la cassation des chefs de dispositif rejetant ses demandes au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail et du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déboute Mme [F] de sa demande de dommages-intérêts pour rupture vexatoire du contrat de travail, l'arrêt rendu le 21 février 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société X aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société X et la condamne à payer à Mme [F] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, prononcé publiquement le neuf avril deux mille vingt-cinq, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Mariette, conseiller doyen, en ayant délibéré et en remplacement du président empêché, conformément aux dispositions des articles 452, 456 et 1021 du code de procédure civile.
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