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Mon inséparable


Mona vit avec son fils trentenaire, Joël, qui est "en retard". Il travaille dans un établissement spécialisé, un ESAT, et aime passionnément sa collègue Océane, elle aussi en situation de handicap. Alors que Mona ignore tout de cette relation, elle apprend qu’Océane est enceinte. La relation fusionnelle entre mère et fils vacille.

Entretien avec Anne-Sophie Bailly 

Comment est né ce premier long-métrage de fiction dont le sujet est si délicat ? Y a-t-il quelque chose de personnel qui vous y a poussée ?

Je n’ai pas de frère ou de soeur en situation de handicap mais je viens d’une famille de soignants, largement féminine (je n’ai que des soeurs). La représentation des gestes du soin guide et habite tout mon désir de cinéma. Je trouve cela passionnant parce que le soin crée toujours une co-dépendance entre le soignant et le soigné. La genèse de ce film vient d’une rencontre que j’ai faite plus jeune dans une maison de retraite où travaillait ma mère, avec une femme de 60 ans dont la mère avait 80 ans. Elles avaient toujours vécu ensemble parce que la fille, Yolande, avait un handicap qu’on définirait comme un retard intellectuel, et quand la mère était devenue dépendante, sa fille l’avait suivie en maison de retraite. Je me souviens que Yolande et sa mère formaient un couple dont je me disais : voilà une image radicale de ce qu’est un couple mère/fille.

Pourquoi aviez-vous envie de filmer de tels personnages ?

Parce que ce sont des visages qu’on voit et filme peu, des corps qu’on montre très peu - même si quelques exemples récents et plus anciens ont fait ou vont faire date, on ne peut pas dire qu’on dispose encore d’une représentation diverse et nuancée ! Les handicaps de mes personnages sont peu visibles, ce qui rajoute à leur mystère : c’est par un trouble de l’élocution, une démarche, un regard qu’on le devine. C’était pour moi un plaisir incroyable de les filmer. C’est une matière cinématographique inédite et magnifique : là où il y a de l’invisible, il y a du cinéma.

Vous aviez des films de référence ?

On ne travaille qu’avec des chefs d’oeuvre, ou des films marquants, évidemment. Je pensais beaucoup à Gloria de Cassavetese, où la cavale est un prétexte à l’évolution d’une relation. Mais aussi Running on Empty de Lumet, qui raconte une émancipation déchirante, et Alice Doesn’t Live Here Anymore de Martin Scorsese. Pour Mona, j’avais aussi en tête la tangente prise par la Wanda de Barbara Loden, et pour Joël, la simplicité sans explication du Lazzaro d’Alice Rohrwacher. Toutes ces figures, ces gestes de mise en scène m’ont beaucoup nourrie.

Le tournage a-t-il été long ?

35 jours, ce qui est un peu plus long que de nombreux premiers films. Mais c’était un luxe dont j’avais besoin. Parce qu’on a beau vouloir une mise en scène à l’affût des acteurs, mobile, on est face à des corps plus massifs, plus encombrés, plus lents. L’élocution aussi est un peu plus lente. On a répété les scènes bien que Laure n’aime pas beaucoup ça ; elle a été de très bonne composition ! 

Drame de Anne-Sophie Bailly. Propos recueillis par Monica Donati. 3,4 étoiles AlloCiné.

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